Article paru dans Maroc Hebdo en mars 2010.
Le 7 mars 2010 s’est tenu à Grenade (Espagne) le sommet Union européenne-Maroc, à l’invitation de M. José Luis Rodriguez Zapatero, Président du Gouvernement espagnol. Il a été considéré, à juste titre, par les deux parties, comme un événement sans précédent. Il s’agit, en l’occurrence, du premier sommet de l’UE avec un pays partenaire méditerranéen, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Ce sommet vient après l’entrée en vigueur de l’Accord d’association de mars 2000, de la mise en place du Plan d’Action, dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage en juillet 2005 et de l’octroi au Maroc du Statut Avancé lors du Conseil d’Association d’octobre 2008. Ce partenariat couvre tous les domaines politiques, économiques, sociaux et humains. Il est dans la droite ligne de la stratégie du Maroc qui a fait, de son rapprochement avec l’Union Européenne, un choix politique fondamental.
L’adoption en octobre 2008 du document conjoint visant l’établissement du Statut avancé du Maroc dans ses relations avec l’UE, a marqué le renforcement des relations Maroc-UE et a offert de nouvelles opportunités pour l’approfondissement des relations bilatérales. Les négociations en cours, pourraient, avant la fin de l’année 2010, ouvrir au Maroc la porte de l’Accord de Libre Echange Approfondi (ALEA) qui vise à l’intégration progressives des marchés. Ceci concerne, entre autres, le commerce des produits agricoles, agricoles transformés et de la pêche.
Dans la construction de l’Union Européenne, l’agriculture a été et est toujours, un élément fondamental et conflictuel. Elle a été le secteur économique dans lequel l’intégration communautaire a été le plus poussée, non sans douleurs. Elle représente 40% du budget de l’Union. La PAC (Politique Agricole Commune) a permis d’augmenter très significativement le niveau de la production agricole en Europe, grâce à la mise en place d’instruments garantissant le revenu des agriculteurs, d’accompagner l’exode rural et de favoriser la modernisation des exploitations. L’Union européenne est, aujourd’hui, une véritable puissance agricole mondiale, concurrençant les Etats-Unis, en termes d’exportation comme d’importation, de denrées alimentaires. On est loin de l’objectif initial de l’Union : assurer l’autosuffisance alimentaire de ses membres. Les objectifs de la Politique Agricole Commune, la PAC, sont d’accroitre la productivité de l’agriculture, d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et enfin, assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. Au fil des années, la PAC s’est adaptée en réduisant les excédents, par l’instauration de quotas et l’imposition de jachères, en atténuant la part de l’agriculture dans le budget communautaire, en accordant une importance croissante, à la dimension qualitative. Elle se doit aujourd’hui d’adapter son fonctionnement aux règles de commerce international définies par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).
Les trois principes, qui sous-tendent la PAC, sont : un marché agricole unique (sans barrière douanières), la solidarité financière et la préférence communautaire (les denrées agricoles produites en Europe sont privilégiées à travers divers mécanismes financiers.) La politique agricole de l’Union européenne est en constante évolution. Il y a cinquante ans, elle avait surtout pour mission de nourrir l’Europe au terme d’une décennie de privations dues à la guerre. Aujourd’hui, les aides massives à la production et l’achat d’excédents en vue d’assurer la sécurité alimentaire, appartiennent largement au passé. Elle a maintenant l’ambition pour ses producteurs (agriculteurs, éleveurs, producteurs de fruits et légumes, viticulteurs) de s’imposer, sans aide extérieure, sur le marché européen et mondial. Mais quelque soit les adaptations ou évolutions de la PAC, elle cherchera toujours à garantir la sécurité alimentaire de ses membres et la bonne gestion des territoires de l’Union européenne, couverts à 80% par l’agriculture et la sylviculture. 2013 est la date de révision de la Politique Agricole Commune, et la date de mise en œuvre prévue pour de nombreuses dispositions de L’Organisation Mondiale du Commerce. L’approche, qui oriente ces différentes dynamiques, est celle de la libéralisation des échanges, de la suppression des entraves au commerce et de la réduction des aides publiques entrainant des distorsions de marché.
C’est à cette politique de l’Union européenne (la PAC), que le monde agricole marocain doit faire face, à travers le Statut Avancé du pays.Même si l’économie marocaine est relativement diversifiée, l’agriculture demeure un secteur vital avec près de 50% de la population active et une part dans le PIB (Produit Intérieur Brut) total variant, malgré une tendance à la baisse, entre 13% à 20%, selon les campagnes agricoles. On comprend que l’agriculture au Maroc a toujours été un secteur stratégique pour le développement économique du pays. Mais malgré le soutien dont elle a bénéficié par le passé, elle reste un secteur sous-développé. Face à une Europe structurée, aux marchés agricoles organisés, face à la puissance des lobbys français et espagnols à Bruxelles, le monde agricole marocain doit évoluer et vite. Le contexte européen marqué par la sécurité alimentaire, le changement climatique, la hausse des prix agricoles, la responsabilisation des producteurs, la lutte contre la pauvreté, amènent le Maroc à revoir sa stratégie agricole dans un sens de mise à niveau, de restructuration et de redéfinitions des missions.
L’une des principales conclusions de l’étude prospective sur l’agriculture à l’horizon 2030, menée sous la conduite du Haut Commissariat au Plan (HCP) est le déficit en matière de politiques, d’institutions et de gouvernance. Si la petite entreprise agricole est devenue rare dans le paysage agricole européen, elle représente au Maroc, une grande part de la population active. Si l’ordinateur dans ces entreprises animées par le CJA (Centre des Jeunes Agriculteurs) est d’usage courant, il fait figure d’outil barbare, encore aujourd’hui, auprès de la majorité de nos agriculteurs. Ceci souligne et illustre le chemin qui reste à parcourir à l’agriculture marocaine, pour exploiter toutes les opportunités qu’offre le Statut Avancé de l’Union européenne.
L’enjeu pour l’agriculture marocaine est de protéger ses produits sensibles, tout en luttant pour un accès le plus large possible à ses produits exportés vers l’Europe. Mais il faut savoir que cette politique trouvera, au sein de la PAC, à Bruxelles, des défenseurs, très mobilisés, des produits européens, comme la France et l’Espagne. L’accord agricole, par exemple, qui devait être ratifié fin 2009, ne le sera, vraisemblablement que sous la présidence hongroise. Il semblerait que, l’Espagne ne voulait pas subir la colère de ses groupes de pression agricoles, en permettant la ratification de l’accord sous sa présidence. La Belgique, elle, subit la pression des lobbys français. Seul la Hongrie, qui sera Présidente de l’UE en 2011, est la moins sensible aux pressions par rapport au dossier marocain. Compte tenu des nouvelles règles du traité de Lisbonne, qui imposent trois années comme délai d’application, l’accord sur le volet agricole Maroc-UE, n’entrera donc en vigueur qu’en 2014. Ces résistances s’expliquent par des productions sensibles, en compétition avec ceux français ou espagnoles. L’exemple de la tomate est édifiant. En 2006, sur les 72000 tonnes de tomates vendus au Marché international de Rungis (Paris), l’importation représentait 45000 tonnes. Dans la même période, l’Espagne, avec 33% de part du marché, s’est placée à la première place, le Maroc, avec 28% de part du marché, à la deuxième place. La France produit 760000 tonnes de tomates, et est classée cinquième parmi les pays producteurs de l’Union européenne. L’application de l’accord mettra, vraisemblablement, le Maroc largement en tête des pays exportateurs vers l’UE.
Mais il faudra tenir compte, bientôt, d’un nouveau trouble-fête, la Turquie, qui se place, petit à petit, comme un producteur et un exportateur de tomates non négligeable. Elle a produit sur les cinq dernières années une moyenne de 1 565 000 tonnes de tomates, et elle frappe à la porte de l’Union européenne, dont elle est le troisième fournisseur. La tomate est le produit le plus consommé et commercialisé au monde. Elle est le premier produit agricole consommé au sein du Marché d’Intérêt National de Rungis. Devant les réticences et parfois, les traitements inéquitables, de lobbys européens, certains producteurs marocains sont tentés de réorienter leurs efforts vers les pays subsahariens ou vers la zone Mena. C’est un mauvais calcul, car les produits agricoles marocains sont compétitifs par leur proximité avec l’Union européenne. Il ne faut pas oublier que ce marché représente un potentiel de 300 millions de consommateurs au pouvoir d’achat élevé. Il est l’aiguillon, pour le développement, la restructuration et la mise à niveau, dont a besoin l’agriculture marocaine.