Article paru dans Maroc Hebdo, en 2008.
Si les non américains votaient aujourd’hui, Barack Obama serait confortablement installé à la Maison Blanche à Washington. Les sites Internet grouillent de supporters du candidat démocrate. Le monde entier préfère Obama, jugez plutôt : 74% des Japonais, 71% des Brésiliens, 67% des Allemands ; 65% des Français, 54% des Irakiens et 48% des Suisses se déclarent pour le candidat noir. L’Afrique, l’Asie du Sud, les musulmans, tous clament leur préférence. L’engouement pour Obama s’explique par le métissage croissant du monde et l’identification des migrants au devenir du candidat noir. Plus prosaïquement, l’élection américaine ne peut laisser indifférent aucun citoyen du monde, persuadé, à tort ou à raison, que notre destinée est étroitement liée à celle de l’Amérique.
Pour l’Etranger, la qualité première de Barack Obama est son opposition, apparemment résolue, à la guerre d’Irak. Il est perçu comme celui qui va rétablir l’ordre après huit années de chaos bushiste et d’affairisme militaro-industriel. Le monde se sent concerné et l’exprime. La couleur, la jeunesse et le ton, s’ils sont promesse de changement, sont-ils suffisants pour doter le candidat des compétences nécessaires à mener les affaires du monde ?
À chaque élection présidentielle américaine, le monde fait preuve de naiveté et d’illusion en croyant que cette élection se décide sur le projet de politique étrangère des candidats. L’enjeu des quatre prochaines années à la Maison-Blanche ne se joue pas sur l’Irak ou sur l’image des Etats-Unis à l’Etranger, mais sur la situation économique du pays. C’est le candidat qui sera perçu le plus apte à redresser la situation économique du pays qui l’emportera.
Si Obama est considéré comme « Le messie » qui va réconcilier l’Amérique avec le monde, c’est qu’on n’a pas prêté suffisamment attention à ses déclarations et ses contradictions. N’a-t-il pas déclaré : « Il faut augmenter la taille de nos forces armées pour maintenir une rotation raisonnable des troupes » (The audacity of hope, livre de Barack Obama, 2006), « Israël est le pivot de la plupart de nos efforts au Moyen-Orient » (débat démocrate, 26 avril 2007), « La constitution confère un droit individuel à porter une arme ’ »(Primaire démocrate, 16 avril 2008), « Il y a des crimes si haineux que la communauté est en droit de recourir au châtiment suprême. » (The audacity of Hope). Très conservateur dans beaucoup de cas, muet sur son programme économique, il ne peut que décevoir ceux qui aujourd’hui l’encensent.
À ce jour, on n’a rien entendu sur le fond des problèmes qui agitent l’Amérique et le Monde. Les Etats-Unis et vraisemblablement le Monde vivent sur un malentendu : la polarisation de l’opinion suffit à donner l’illusion qu’on a affaire à un débat riche de sens. Aveuglé par son affection pour ce candidat au destin exceptionnel, sidéré par ce choix inédit, historique et plaisant, hypnotisé par cette voix grave, ce corps svelte, le monde pourrait s’apercevoir que son préféré n’est pas si progressiste, encore moins révolutionnaire. À l’aune européenne, la ligne de démarcation entre Républicains et Démocrates est ténue, voir inexistante sur certains problèmes qui agitent la planète.
La déclaration à Libération de Rashid Khalidi , professeur d’arabe à l’université américaine de Columbia : « les gens pensent qu’Obama est un saint, eh bien non, c’est un politicien » résume bien la situation. Porté aux nues pour ses promesses sociales, le droit à l’avortement, le combat contre la discrimination, l’aide aux plus démunis, des impôts plus justes, une meilleure éducation publique, la régularisation des clandestins, la création d’une couverture maladie universelle, Obama ne pourra que décevoir, vu l’état de l’Amérique, économiquement mal en point, dont il pourrai hériter. Les moyens financiers vont manquer pour un programme si généreux et il le sait. Personne ne veut voir qu’Obama est, comme son rival, favorable à la peine de mort, qu’il n’attaque jamais directement le second amendement autorisant le port d’arme, s’il est opposé à la guerre en Irak, il prône la fermeté face à l’Iran, il poursuivra la guerre tout azimut contre le terrorisme et se propose même d’augmenter les effectifs de l’armée. Il n’est pas favorable au mariage homosexuel et comme tout candidat américain recourt à la religion.
Obama ne trompe personne, c’est le monde qui s’illusionne.